mercredi 17 février 2016

OGM, GPA: MEME COMBAT !

Par Edouard in Le Figaro.fr

Luc Chatel, le gaz de schiste et les OGM : «conservateur» est-il devenu un gros mot ?


FIGAROVOX/TRIBUNE - Luc Chatel a évoqué Les Républicains comme «le parti du gaz de schiste et des OGM». Pour Gaultier Bès, le Progrès dont on parle sans cesse n'est que celui de la technique et du marché qui étendent leur emprise sur nos vies.

Gaultier Bès, 26 ans, professeur agrégé de lettres modernes, auteur de Nos Limites: pour une écologie intégrale (Le Centurion, 2014, avec Axel Rokvam et Marianne Durano). Il s'occupe également de la revue Limite dédiée à l'écologie intégrale.

Dans un même élan rhétorique, gauche et droite s'enorgueillissent d'être progressistes, et accusent le camp d'en face d'être conservateur. Étude de cas révélatrice avec Luc Chatel.

Mort aux cons(ervateurs)

Ce week-end, plus que jamais, le mot «conservateur» a senti le souffre. Rassurez-vous: il ne s'agissait pas de dénoncer les effets des conservateurs chimiques dans notre alimentation, mais de dénoncer le conservatisme, cette vision du monde nauséabonde qui préfère l'héritage à la table rase, la durée à la pulsion, le robuste au clinquant, et considère qu'il faut moins transformer le monde à notre guise qu'«empêcher qu'il ne se défasse» (pour reprendre le mots de Camus). Haro donc sur les conservateurs!

 

Tout juste élu « président du conseil national des Républicains », Luc Chatel a exhorté ses troupes à « regarder le réel en face », à être « le parti du réel»


Tout juste élu «président du conseil national des Républicains», Luc Chatel a exhorté ses troupes à «regarder le réel en face», à être «le parti du réel» pour devenir «le parti du réveil», «le parti du principe d'innovation contre le principe de précaution», et même «le parti du gaz de schiste, le parti des OGM, le parti des bio-techs»! Il a été jusqu'à parler d'«intime conviction», c'est dire. Promouvoir surtout, en tout, partout, pour tout, le progrès qui innove la nouveauté (comme dit La Décroissance): enfin un homme qui va de l'avant et qui sait ce qu'il veut! La rupture, étions-nous sur le point de la vivre? Le changement, était-ce pour maintenant? Allions-nous enfin pouvoir nous «arracher à tous nos déterminismes»?

D'un conservateur l'autre

Aussi quelle ne fut pas ma stupeur lorsque je lus le tweet d'un camarade écologiste, Maxime Combes, membre d'Attac: «Confirmation: Les Républicains de Luc Chatel, c'est le parti du conservatisme! L'innovation, c'est la #Transition». Réclamer plus de fracturation hydraulique, de transgenèse et de biotechnologies, c'est-à-dire un interventionnisme accru sur la nature, voilà qui ne m'avait pas semblé particulièrement conservateur. Mais ma stupeur ne fit que redoubler quand je découvris la réponse du berger à la bergère: «Quel bonheur de voir les conservateurs se liguer contre mes propos du #CNLR. Vive la France du réel! Agilité/Réactivité/Compétitivité».

    Tout le monde se refilait donc la patate chaude du conservatisme. Qui fallait-il croire ?

Tout le monde se refilait donc la patate chaude du conservatisme. Qui fallait-il croire? Celui qui dénonce le «conservatisme» de celui qui fustige les «conservateurs», ou celui qui traite de «conservateurs» ceux qui l'accusent de «conservatisme»? Est-ce la «transition» qui est conservatrice ou la «réactivité»? Certes, dans «réactivité», il y a «réac» (comme «conservateur», c'est un mot qui commence mal...), mais il y a aussi activité qui rime (richement) avec «compétitivité», alors qu'en penser?

Assez drôlement, Yannick Jadot, un autre écologiste, regrettait de son côté que Chatel se comportât comme un «mou du genou» en «oubli[ant] de vanter les décharges sauvages, l'immersion des fûts toxiques, le bonheur de la radioactivité». A la même tribune, Sarkozy, lui, n'avait pas hésité à réciter un vibrant credo progressiste: «Nous croyons dans le progrès et nous voulons qu'il ait la première place dans notre société. (…) Nous avons foi dans la science et ses chercheurs». Quant à Fillon, en 2012, il prétendait que «se passer des recherches sur le gaz de schiste» était «criminel» et «dénot[ait] une tournure d'esprit moyenâgeuse». Même au PS, ils vont plus loin. En novembre 2013, Laurence Rossignol proclamait ainsi: «Le Progrès n'a pas de limites !».

Le progressisme a mal vieilli

Alors, conservateur ou anti-conservateur, Luc Chatel? Les deux, mon capitaine!

    Si on définit le conservatisme comme l'incapacité à changer de paradigme, même quand celui-ci s'avère destructeur, alors Chatel est conservateur.

Si on définit le conservatisme comme l'incapacité à changer de paradigme, même quand celui-ci s'avère destructeur, alors Chatel est conservateur. J'imagine d'ailleurs qu'il est favorable au projet d'aéroport sur la zone humide de Notre-Dame-des-Landes, au nord de Nantes, projet qui date de la fin des Trente Glorieuses, lorsque le pétrole était encore une ressource accessible et avant qu'on ne prenne conscience des dégâts terribles des dérèglements climatiques. Rien de plus passéiste en effet que de s'obstiner sur un tel archaïsme!

Maxime Combes a raison d'estimer que le choix du gaz de schiste, des OGM, et des biotechs, au mépris de tout «principe de précaution», n'a rien de révolutionnaire. C'est en effet la voie suivie par la civilisation moderne depuis plusieurs siècles: celle d'un extractivisme fou qui considère la terre comme un gisement de ressources à exploiter sans fin, au détriment des équilibres écologiques, et l'être humain comme une créature malléable et manipulable à l'envi. C'est cette vision prométhéenne - ou démiurgique - selon laquelle la technique peut nous permettre de rivaliser avec les dieux qui explique qu'on s'autorise à saccager des écosystèmes entiers pour chauffer nos centres commerciaux, ou à modifier génétiquement des organismes vivants, qu'on brevette et qu'on vend. Les biotechnologies, en agissant directement sur le vivant, ouvrent la voie au transhumanisme, idéologie qui préconise d'«augmenter» nos capacités physiques et mentales, de repousser nos limites biologiques, en hybridant l'homme et la machine.

Qu'il s'agisse du productivisme industriel (gaz de schiste) ou de la marchandisation du vivant (OGM), il s'agit toujours de chercher à se «rendre comme maîtres et possesseurs de la nature» (Descartes, Discours de la méthode, 1637). Au nom d'un Progrès qu'on a réduit à une domination technique sur la nature, Luc Chatel, donc, ne fait ici que reprendre un discours vieux de quatre siècles, et dont on pourrait trouver des prémisses dans des textes bien antérieurs encore.

OGM, GPA: même combat!

Mais qu'est-ce que ce conservatisme qui ne conserve rien que ce projet de manipulation de la nature? 
Qu'est-ce qu'un conservatisme qui ne préserve rien que sa force de transformation et de destruction ?
Qu'est-ce qu'un conservatisme qui n'est au service que des riches et des puissants, imposant aux faibles de s'adapter (sous peine de tout perdre) aux règles de plus en plus mouvantes d'un système économique de plus en plus opaque? Qu'est-ce qu'un conservatisme qui, à l'image du struggle for life revisité par Laurence Parisot («La vie, la santé, l'amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi?»), ne connaît comme loi que la précarité, comme vérité que l'instabilité?

De fait, si l'on veut être cohérent, le «parti du gaz de schiste, des OGM et des biotechs» ne peut qu'être celui de la PMA, de la GPA et, à terme, du posthumanisme, car quand l'homme s'arroge le droit de manipuler et de breveter le vivant, on ne voit pas bien quelles limites il pourrait s'imposer. Si seule compte la volonté humaine, alors «tout est possible», quelles qu'en soient les conséquences sur notre environnement et notre propre existence. De la théorie queer à la transgenèse se manifeste un même refus de la naturalité, et un désir de transformer, de dépasser par des artefacts techniques ce que la nature nous a donné. Et à chaque fois, c'est le principe d'innovation qui l'emporte sur le principe de précaution, apanage des conservateurs qu'on rebaptise bientôt réactionnaires.

D'ailleurs, après Darcos et avant Peillon, c'est bien au Luc Chatel, ministre de l'Éducation nationale de Sarkozy, que le rapporteur public du Conseil d'État avait reproché un manque de discernement et de prudence dans le soutien appuyé au militantisme douteux de la Ligne Azur. Rappelez-vous: ce site qui pour une cause tout à fait légitime (la lutte contre l'homophobie) utilisait dans un cadre scolaire des moyens plus que contestables, notamment la diffusion de la brochure intitulée «Tomber la culotte» qui détaillait dans un style adolescent toutes sortes de pratiques sexuelles, allant du polyamour au BDSM. De fait, en 2014, le rapporteur public estimait que certains éléments diffusés par ce site contrevenaient aux «principes de neutralité de l'école et de liberté de conscience».

    Loin de ces caricatures qui voudraient que la gauche fût progressiste et la droite conservatrice, il nous faut prendre conscience que libéralisme économique, moral et politique vont de pair, et que le clivage décisif ne se joue plus aujourd'hui entre gauche et droite (qui communient dans la même idéologie progressiste), mais entre la fuite en avant technologique de ceux qui se croient tout permis et la conversion écologique de ceux qui réfutent le fantasme de la toute-puissance.

Loin de ces caricatures qui voudraient que la gauche fût progressiste et la droite conservatrice, il nous faut prendre conscience que libéralisme économique, moral et politique vont de pair, et que le clivage décisif ne se joue plus aujourd'hui entre gauche et droite (qui communient dans la même idéologie progressiste), mais entre la fuite en avant technologique de ceux qui se croient tout permis et la conversion écologique de ceux qui réfutent le fantasme de la toute-puissance. Car le Progrès dont on nous rebat les oreilles n'est que celui de la technique et du marché, étendant leur emprise sur nos vies. A cet égard, la conservation de nos écosystèmes n'est pas une lubie partisane, mais la condition même de notre survie. Car si l'écologie est une «science des conditions d'existence», ce n'est pas par amour de ce qui fut, mais par amour de ce qui demeure, amour de cette puissance de la vie irréductible aux machines et aux algorithmes.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire