samedi 5 septembre 2015

FAMILLE: L'EXCEPTION FRANCAISE

Par Edouard in Atlantico

Pauvres parents : il semblerait qu’avoir un enfant ait un impact pire que le divorce, le chômage et même la mort de son conjoint


Une étude menée par des démographes allemands et danois sur le niveau de satisfaction des foyers après la naissance du premier enfant montre que la parentalité est l'expérience la plus négative d'un couple, avant même le divorce ou le décès du conjoint.
Dur d'être parents

70% des couples interrogés dans une étude allemande ont mal vécu l'arrivée d'un enfant.

Atlantico: Pourquoi la parentalité est-elle mal vécue pour 70% des couples interrogés?

Claude Martin: Sans me prononcer en tant que telle sur l’étude elle-même, il me semble que l’on peut soutenir en effet que les parents d’aujourd’hui ont une conscience de plus en plus aiguë de la difficulté de leur tâche. Cette inquiétude parentale, qui est parfois même un stress parental n’est sans doute pas sans lien avec la pléthore de conseils dont les parents sont la cible. Un formidable marché s’est structuré tout au long du 20ème siècle en la matière, du Dr Knock aux dispositifs de parenting support fondés sur des preuves (evidence-based), en passant par les conseils prodigués par nombre de psychologues et pédiatres, comme Françoise Dolto en France.


Ce qui a certainement contribué à intensifier cette peur de parents de ne pas être à la hauteur est sans doute aussi la généralisation de l’idée de risque que feraient encourir les parents à leurs enfants s’ils n’adoptent pas les bonnes conduites, d’où précisément une logique de contrôle des parents et les discours de culpabilisation. On peut dès lors se demander comment réduire cette pression et ce stress. Probablement pas en augmentant les prescriptions et les message de culpabilisation.

Benoit Bastard : Il s’agit d’une étude réalisée en Allemagne, un pays qui a un taux de fécondité assez faible (une moyenne de 1,5 enfant par femme). Dans cette étude, effectivement, un grand nombre de parents, hommes et femmes indiquent, un temps après la naissance de leur enfant, que leur bien-être a diminué – jusqu’au point où certains disent renoncer à avoir un deuxième enfant.  Plusieurs remarques s’imposent. Tout d’abord, au sujet de la comparaison qui fait « choc » : avoir un enfant aurait des effets beaucoup plus négatifs qu’un divorce, le chômage ou la perte d’un partenaire. Cette comparaison me paraît pour le moins étrange et contestable. Les parents de l’étude, comme la plupart des parents aujourd’hui dans les pays développés, ont choisi d’avoir un enfant. Comment comparer les difficultés qui en résultent et les réorganisations personnelles qui s’imposent avec des événements d’un tout autre ordre et non souhaités ?

La chute du « bien-être » dont il s’agit est due, nous dit-on, à différents facteurs : des problèmes de santé pour les mères à la suite de la naissance, dont les pères se soucient pour leur compagne, et qui menacent leur retour au travail ; des complications pendant l’accouchement, qui font qu’elles n’ont pas envie de recommencer ; ou encore la charge qu’impose l’élevage du petit enfant, en termes de temps passé, de manque de sommeil, de dépression, d’isolement et de rupture des relations sociales. Tout ceci doit être pris très au sérieux, bien sûr, mais peut-on vraiment procéder à une telle évaluation « instantanée » des conséquences d’une naissance sans se poser la question de savoir ce qu’il en est, à plus long terme, pour une mère ou un père, d’être parent ? 

Peut-on dès lors mettre en relation cette mauvaise expérience de la parentalité avec la stagnation des taux de natalité européens sous la barre des deux enfants par femmes?
Claude Martin : Je ne suis pas sûr que l’on puisse faire ce lien dans la mesure où précisément de nombreux pays font l’objet de ce constat de stress parental et/ou de sur-responsabilisation voire de culpabilisation des parents, alors même que les pays en question ont des taux de fécondité très variables. C’est le cas par exemple si l’on mentionne la France et l’Allemagne, dont nous avons récemment étudié les politiques de soutien à la parentalité, aux côtés de ceux de l’Angleterre et des Pays-Bas avec le soutien de l’ANR.

Benoit Bastard : Les Allemands et les Français mettent les enfants au monde de la même façon et s’en occupent pareillement dans le tout premier âge… Cette « mauvaise expérience » que font les femmes allemandes et leurs compagnons au moment de la naissance de leur enfant peut être cause qu’une partie d’entre eux renoncent à avoir un deuxième enfant. Mais elle n’est pas, par elle-même, la cause de la faiblesse du taux de natalité allemand. Elle est plutôt  le signe que la parentalité n’est pas investie d’une façon prioritaire. Tout se passe comme si on en était resté à une situation dans laquelle il existe une solution « naturelle », celle dans laquelle les femmes s’occupent des enfants, sans qu’il y ait besoin d’une action collective, engageant autant les hommes que les femmes, ainsi que les instances publiques, pour permettre que les individus, les femmes comme les hommes, puissent se réaliser comme ils le souhaitent, y compris en ayant des enfants. Les transformations de la société incluent une diversification des manières d’être en famille qui doit être prise en compte, avec de la souplesse, par les politiques de prise en charge.
En France, le taux de natalité est le plus élevé des pays de l'OCDE: est-ce plus facile d'être un parent français?

Claude Martin : L’indicateur de fécondité n’est pas de loin le meilleur indicateur du bien-être ou du stress parental. En effet, la France est aussi le pays où les femmes détiennent un des scores les plus élevés au monde de consommation de psychotropes. Les mères françaises sont certes plus fécondes en moyenne, mais ce sont aussi souvent des mères qui travaillent et qui semblent avoir encore de sérieux problèmes pour concilier leur vie familiale, personnelle, professionnelle, d’où sans doute leur consommation médicamenteuse ou leur besoin de consulter des médecins et des psy.

Benoit Bastard : La France se distingue par un taux élevé de fécondité en Europe, plus de deux enfants par femme en âge de procréer. Chaque femme fait un nombre d’enfants moindre que dans les générations antérieures, mais quasiment toutes les femmes en capacité d’avoir des enfants en ont. Les raisons qui expliquent ce taux élevé sont complexes et même si on peut se réjouir de voir que la continuité des générations est ainsi assurée, il faut rester circonspect dans les explications. Les analyses existantes suggèrent bien sûr que les politiques en faveur de la natalité, qui n’ont jamais cessé en France, ont une place importante. Il existe les aides directes, fiscales ou sociales. L’Etat se préoccupe aussi de la conciliation entre vie professionnelle et vie privée. Il existe des modes de garde de toutes sortes, qui prennent en charge les enfants très jeunes et pour des durées quotidiennes significatives, ce qui n’existe pas dans certains autres pays européens. Les femmes maintiennent une activité professionnelle à un niveau relativement élevé même lorsqu’elles ont plusieurs enfants. Les congés parentaux se développent et visent aussi le public des pères. Toutes ces mesures se sont en outre développées sur l’ancien fond nataliste de la politique familiale française qui continue à faire sentir ses effets, ce qui n’empêche pas que toutes configurations familiales soient aujourd’hui également acceptées – les familles monoparentales, les familles recomposées ou les foyers homoparentaux. L’accueil de l’enfant est vu d’une manière extrêmement positive dans notre pays.


Afin d'éviter des situations démographiques critiques, comme au Japon ou en Corée menacés d'extinction, quelles solutions pourraient être prise pour inciter les couples à avoir plus d'un enfant?

Claude Martin : Il est difficile de prétendre que l’on est parvenu véritablement à expliquer ce qui incite les adultes à faire des enfants : il faut sans doute bien sûr réunir les meilleures conditions possibles : avoir une croissance économique qui donne confiance dans le futur, endiguer la pauvreté et la précarité, et surtout probablement développer des services permettant d’épauler les parents dans leur travail de socialisation et de soins aux enfants. Mais le phénomène est aussi beaucoup plus complexe car il a également à voir avec précisément l’expérience de la génération précédente. On peut ainsi défendre que la fécondité a varié au cours du 20ème siècle en fonction d’une succession de femmes qui ont successivement été malthusiennes ou très fécondes, en suivant une logique consistant pour ces femmes à éviter d’avoir le destin de leurs mères.

Benoit Bastard : Il n’y a pas de recette miracle. La France est observée parce qu’elle illustre une situation dans laquelle la démographie semble préservée pour les décennies à venir du « krach » démographique annoncé ailleurs. Mais les spécialistes s’accordent pour dire qu’il est quasi-impossible de démêler précisément les raisons qui rendent compte de la situation particulière que nous connaissons. Ils expliquent que l’effet des mesures existantes est global et dépasse largement l’impact de chacune d’entre elles prise isolément. Il est par conséquent difficile de reproduire les solutions existantes en France. Deux remarques s’imposent alors. D’une part, pour la France, il faut persévérer l’existant et prendre garde de maintenir le « complexe » des dispositifs existants, voire de le développer dans de nouvelles directions – je pense notamment à la reconnaissance des pères dans leur rôle qui doit être encore développée. Quant aux pays en difficulté, l’une des solutions n’est-elle pas de faire appel davantage à l’immigration – un sujet dont on connaît l’importance aujourd’hui ?


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