mercredi 22 juillet 2015

LES CLES POUR COMPRENDRE L'AFFAIRE LAMBERT

Par Edouard in Le Figaro.fr



Affaire Vincent Lambert : trois leçons d'une tragédie sans précédent


FIGAROVOX/DECRYPTAGE - Alors que l'affaire Vincent Lambert continue de déchirer sa famille et le milieu médical, Jean-Yves Nau en rappelle les enjeux éthiques.

Jean-Yves Nau est médecin et journaliste scientifique, spécialiste des questions de médecien, de biologie et de bioéthique. Il tient le blog Journalisme et santé publique.

Depuis 2013, la France découvre les rebondissements médicaux, juridiques et éthiques de l'histoire de Vincent Lambert. Nous découvrons aussi au fil des mois les conflits de sa famille, déchirée quant au devenir de cet homme plongé dans un profond coma à la suite d'un un accident de la circulation survenu en 2008.

C'est là une tragédie sans précédent en France et en Europe. Au-delà des conflits familiaux et de leur mise en scène médiatique cette affaire nous éclaire sur plusieurs aspects relatifs au traitement politique et juridique de quelques questions relatives à la notion de conscience et de la fin de la vie humaine. A la veille d'une nouvelle décision médicale collégiale concernant ce malade, trois leçons peuvent être tirées de cette tragédie

1. le pouvoir et les impasses du droit


L'affaire Vincent Lambert est d'abord et avant tout une affaire juridique. La faute majeure commise en mai 2013 par l'équipe médicale du CHU de Reims (engager un processus de «fin de vie» sans prévenir les parents du patient) a été à l'origine d'une action devant la juridiction administrative qui conduisit le Conseil d'Etat à devoir trancher ce litige. Conscient de l'ampleur et de la portée de l'affaire, les magistrats du Palais-Royal s'entourèrent des plus grandes précautions. Ils sollicitèrent l'avis de trois médecins spécialistes de neurosciences proposés par l'Académie nationale de médecine, le Comité consultatif national d'éthique et le Conseil national de l'Ordre des médecins.

Et au final ils jugèrent, en juin 2014, que le processus de fin de vie (par arrêt de la nutrition et de l'hydratation du malade) pouvait être à nouveau être mis en œuvre jusqu'à son terme. Cette décision fut aussitôt suivie d'une saisine de la Cour européenne des droits de l'homme qui, en juin dernier, ne s'opposa pas au jugement du Conseil d'Etat en estimant qu'il n'était pas contraire à la Convention européenne des droits de l'homme. L'arrêt de la CEDH fut toutefois marqué par la prise de position de cinq des dix-sept juges de la «Grande chambre» (ceux d'Azerbaïdjan, de Géorgie, de Malte, de Moldavie et de Slovaquie) estimant que la Cour était parvenue à «une conclusion effrayante», qui équivalait «à un pas en arrière» du point de vue des droits de l'homme.

Aujourd'hui, dans l'attente des conclusions d'une nouvelle procédure médicale collégiale les parents de Vincent Lambert ont choisi de porter l'affaire au pénal, dénonçant notamment des conflits d'intérêts chez des médecins du CHU de Reims qui participent à cette procédure.

2. le glissement linguistique

L'un des points clefs du jugement rendu par le Conseil d'Etat concerne l'interprétation de la loi Leonetti de 2005 «relative aux droits des malades et à la fin de vie». Les magistrats du Palais Royal ont, en substance, estimé que l'alimentation et l'hydratation de Vincent Lambert pouvaient être considérées comme des thérapeutiques - et qu'à ce titre elles pouvaient entrer dans le champ de «l'obstination déraisonnable». En d'autres termes le cas de Vincent Lambert pouvait être jugé dans le cadre de la loi Leonetti des malades «en fin de vie».
  
Vincent Lambert n'est nullement « en fin de vie » ; le fait de le nourrir et de le faire boire ne peut en aucune manière être assimilé, ici, à une « thérapeutique » mais correspond à de simples « soins ».

A l'opposé de cette lecture, les parents (et une fraction du corps médical) font valoir que ce malade n'est nullement «en fin de vie» et que le fait de le nourrir et de le faire boire ne peut en aucune manière être assimilé, ici, à une «thérapeutique» mais correspond à de simples «soins». Procéder à leur arrêt définitif consisterait, dès lors, à donner volontairement la mort et devrait être assimilé à une forme d'euthanasie. Il y aurait ici, en somme, une forme d'inversion paradoxale de la notion «d'obstination déraisonnable».

3. les menaces éthiques

On estime à environ mille cinq cents le nombre des personnes qui sont aujourd'hui, en France, dans une situation de coma profond équivalente à celle de Vincent Lambert. Elles ne sont pas concernées par le jugement du Conseil d'Etat dans la mesure où il n'existe pas de dissensions familiales quant à la suite de leur prise en charge. Cette affaire soulève en revanche une question d'une portée médicale et éthique considérable: celle du niveau de conscience comme critère retenu pour l'arrêt, définitif, de soins devenus «déraisonnables». Cette menace sera d'autant plus présente que les soins seront jugés trop coûteux. Elle avait été parfaitement perçue par les trois experts médicaux consultés par le Conseil d'Etat qui écrivaient, il y a un an: «le degré de l'atteinte de la conscience ne saurait constituer le seul élément déterminant de la mise en route d'une réflexion concernant un éventuel arrêt de traitement».

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